Ouïlle ! Mal à l’ouïe !

Push the Envelope
5 min readJan 15, 2024

Cher lectorat, prêtez-moi vos oreilles. Je vous propose un voyage à travers la panoplie de sons audibles que l’on entend en ville et je vise à souligner pourquoi ils sont si précieux. Les sons pourraient nous ensorceler et nous hypnotiser. Les sons pourraient bien également nous inspirer, nous motiver à faire des devoirs, de l’exercice physique ou encore du ménage. En revanche, si le volume est trop fort, le son peut nous rendre sourds; au revoir Chopin et les autres grands classiques!

De manière générale, ma chronique se concentre sur le transport et, plus spécifiquement, le vélo. Le vélo en ville vous fait vivre une expérience multisensorielle, mais ma chronique traite exclusivement de l’ouïe : ce que les yeux ne voient pas. Les artères de Montréal offrent une symphonie sublime à ses citoyen.ne.s et parfois aussi un orchestre cacophonique. Nous allons explorer la place des cyclistes dans la ville en portant attention aux petits bruits, qu’ils soient paisibles ou rocambolesques, et qui infiltrent leurs routes. Il est prudent de noter que le Code de la sécurité routière interdit de rouler sur une bicyclette avec des écouteurs ce qui expose les cyclistes qui obtempèrent aux bruits de la ville, contrairement aux automobilistes qui sont cloisonné.e.s dans leur voiture. L’article 443.2 du Code oblige les cyclistes à faire attention aux dangers qui les entourent. En même temps, il permet de profiter des trésors sonores de notre métropole énumérés ci-bas, du moins jusqu’à un certain point.

Image par Anne Wolff

Sans cataloguer tous les bruits imaginables, il est quand même possible de les catégoriser par heure, par température et par désirabilité. En matinée, on entend souvent les oiseaux, leur sifflement ou bien le battement de leurs ailes. En soirée, on entend la musique en direct des boîtes de nuit, où une fausse note provoque la chair de poule. L’automne apporte les feuilles mortes que l’on écrase sous nos pneus dans une délicate gamme de « cracs », tandis que les neiges hivernales pavent la chaussée de façon croustillante. La liste continue : la cloche de l’église, la sonnerie d’un téléphone, les sirènes d’urgences et ainsi de suite. Si on considère les paroles attrapées à la volée, il faut d’abord prendre en compte l’endroit : près de notre Faculté, de la Cour ou d’un quartier polyglotte. La trame sonore change selon le théâtre de l’activité.

Malheureusement, ce qui gâche le plaisir, c’est le fait que certains bruits peuvent être nuisibles, voire dangereux pour la santé. Par exemple, le « ronron » d’une grosse machine de construction ou la pétarade du système d’échappement d’une motocyclette ou d’un camion. D’ailleurs, Apparicio et al. (Journal of Transport Geography 57 (2016) 63–69) ont mesuré les effets nocifs de l’exposition aux bruits pour un.e cycliste dans les quartiers centraux montréalais. Ils ont noté les décibels moyens (dB(A)) grâce au détecteur de bruit de Bruel et Kjaer à l’aide d’une dizaine d’étudiant.e.s cobayes qui se sont porté.e.s bénévoles pour être exposé.e.s aux bruits de la circulation, et ce, sur des périodes prolongées. Cela génère des effets négatifs sur la santé : ce bruit stimule le système nerveux et endocrinien, ayant pour effet d’accélérer le rythme cardiaque ce qui peut, en conséquence, augmenter la pression artérielle et les maladies cardiovasculaires. Ce bruit peut aussi affecter les capacités auditives.

D’après les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) sur le bruit, le niveau sonore au-dessus de 55 dB(A) est considéré comme un ennui sérieux. Par ailleurs, le bruit au-dessus de 70 dB(A) a un impact significatif sur la santé (y compris la perte de l’ouïe). De surcroît, le ministère des Transports et de la Mobilité durable du Québec stipule que le bruit journalier devrait être de moins de 65 dB(A). Néanmoins, les bruits mesurés par Apparicio et son équipe varient entre 54 et 87 dB(A) et dont la moyenne est 70,5 dB(A), soit bien au-dessus du seuil établi par les politiques supranationales.

Il existe quelques solutions: la ville peut implanter des aménagements urbains afin de diminuer l’effet du bruit sur les cyclistes. En effet, les auteurs notent spécifiquement que les haies sont utiles pour cela. Puis, il y a moins de bruit produit par les automobiles durant les heures de pointe, lorsque les véhicules sont dans des embouteillages. En effet, quand les routes sont bouchées, les automobiles roulent moins rapidement et leurs moteurs font moins de bruit. Bref, plus les artères sont désertes, plus les voitures risquent d’être bruyantes et de percer vos oreilles.

À ce moment, il serait important de poser la question suivante : quel est le rôle du cycliste urbain et comment est-il possible de conserver une atmosphère saine ? L’étude d’Apparicio nous apprend que les bruits des artères de la métropole excèdent les limites de santé et de sécurité et si l’on continue dans cette logique, l’humble bicyclette est moins bruyante qu’un char. Au risque de répéter ad nauseam les cinq avantages classiques du vélo, je vous rappelle que le vélo est imbattable en ville: non seulement est-ce bon pour la forme physique, le portefeuille, la planète et la ponctualité, c’est aussi beaucoup de plaisir! Ces cinq piliers classiques sont accentués par le fait que la circulation cyclable rend les routes moins bouchées et moins endommagées par l’usage. Si on prend en compte les piétons vulnérables, tel.le.s que les aîné.e.s et les enfants, le vélo créerait une collision beaucoup moins mortelle. Lorsqu’on revient de notre tour des cinq piliers, le trafic de vélos autour du lieu de travail ou un lieu d’étude, comme près d’une bibliothèque qui exige une concentration silencieuse, fait en sorte qu’il est utile pour les urbanistes d’aménager des pistes cyclables aux alentours. Nous pouvons témoigner cette expérience géniale dans le Quartier latin au coin de Maisonneuve et Berri, carrefour de deux axes cyclables achalandés et l’emplacement propice de la Bibliothèque des Archives nationales du Québec.

Si les cyclistes risquent de perdre l’ouïe en circulant simplement en ville à vélo, comment peuvent-ils continuer à se réjouir des sons agréables comme le gazouillis des oiseaux ou la neige croustillante ? Certains bruits peuvent être dangereux et les citoyen.ne.s sont exposé.e.s à des bruits qui dépassent les limites de sécurité. En interdisant le port d’écouteurs comme moyen rudimentaire pour se protéger contre les bruits, le législateur met en péril la santé auditive des cyclistes qu’il néglige. Dans un système de santé publique administré par le palier provincial, le gouvernement aurait un intérêt financier à imposer des limites strictes et des amendes plus robustes sur les bruits nuisibles. Les cyclistes devront rouler avec prudence et souhaiter une quiétude pendant leur trajet. Toujours en pédalant vers votre destination, j’espère pour vous, chers cyclistes, que vos lumières sont vertes!

Michael Thomas Kowalsky

Cet article a paru dans Le Pigeon dissident à l’occasion de l’édition « Oui » en décembre 2023, disponible ici.

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